Mon volontariat Workaway dans une ferme de l’île de Vancouver

Comment décrire mon expérience de volontariat dans une ferme de l’Ouest de l’île de Vancouver, à Ucluelet ? Bonne question. L’expérience fut si surprenante et intense que la mettre par écrit risque fort de la dénaturer et de ne pas être un compte-rendu fidèle. Mais je me lance, tout de même.

Je vais tenter de vous parler de la manière dont cette expérience, pourtant plutôt courte, m’a appris à changer mon rapport à certaines choses autour de moi. Ou a au moins eu le mérite de m’y faire penser autrement pendant quelques jours. J’espère en garder quelques enseignements pour la suite du parcours au Canada, et à plus long terme !

Un peu de contexte : où étais-je exactement ?

La Medicine Farm est une ferme biologique à but non lucratif, fondée en 2002. C’est un modèle (quasi) auto-suffisant : l’électricité provient principalement de panneaux solaires, les déchets sont recyclés, rien ne se perd (ou presque).  Y poussent toute sortes de choses : salades (laitues, mizuna, aragula), herbes aromatiques (ciboulette, marjolaine, coriandre…), pommes de terre, et autres plantes dont je vous laisse imaginer la nature. La production est en partie consommée par les personnes qui travaillent à la ferme, et en partie vendue à des commerces de proximité ou des habitants du coin. La ferme se situe non loin de Ucluelet, dans un coin vraiment perdu, au milieu des bois. Apparemment, à la genèse du projet, personne ne croyait qu’un tel environnement pourrait être propice à l’agriculture… Mais il faut croire que l’attention portée à la nature et à ses pouvoirs par le propriétaire des lieux a payé. Ah oui, il faut savoir qu’ici, permaculture oblige, on est très attentif aux cycles de la lune… et aux signes du zodiaque. Je n’ai pas eu suffisamment de temps sur place pour comprendre les tenants et aboutissants de la chose, mais en gros, si la lune est dans telle phase et que c’est tel signe, on va décider de transplanter plutôt que de désherber. La permaculture implique plein d’autres décisions, comme le type de plantations à faire cohabiter à tel ou tel endroit, ou encore la manière de récolter les légumes (ex : on ne va pas couper une laitue entière, mais prendre 2-3 feuilles par-ci par-là).

Mais la Medicine Farm, c’est plus que cela. ‘Helping Other Help Themselves’, c’est ça l’idéal, et le slogan de la ferme. On pourrait le traduire par « Aider les autres à s’aider eux-mêmes ». Et en étant à la ferme, tu comprends au fur et à mesure pourquoi.

Voilà pour l’introduction. Passons donc aux réflexions amenées par cette expérience de volontariat à la ferme.

 

Le rapport au travail

Jusqu’à présent, je n’avais jamais travaillé dans ce type d’environnement. Depuis mon entrée dans le monde professionnel, j’ai toujours été dans ce qu’on appelle ici des « offices jobs ». Travailler dehors, avec des outils, dans la terre, était donc une première pour moi (j’avais déjà eu un jardin dans mon enfance hein, mais je parle ici de « travail »). Cela m’a été très agréable. Bon, pour être honnête, j’ai eu de la chance pour la météo. Les quelques matinées de travail sous la pluie battante, c’était forcément moins sympa mais ce n’était pas non plus intenable. L’après-midi, je ressentais une vraie bonne fatigue, physique, et non pas une fatigue « psychologique » due à un stress intense. Et cette fatigue-là est beaucoup plus appréciable. En plus de cela, pouvoir écouter de la musique en travaillant (et pas besoin de mettre des écouteurs pour ne pas déranger ses collègues), discuter tout en récoltant de la laitue… Alors je suis bien consciente que le travail de la terre peut être extrêmement difficile et que je n’en ai eu qu’un aperçu infime, mais cela m’a donné conscience que j’appréciais faire ça. Et que j’étais capable de le faire, contrairement à mes appréhensions. Cela m’ouvre les yeux quant à la conception de ce qu’est le travail, ce à quoi il est censé ressembler, et ce en quoi je me croyais « pas douée ».  

En plus, le travail de la terre est propice à une sorte de méditation. Comme le disait le fondateur de la ferme, lorsqu’on désherbe notamment, c’est un peu une méditation par la force des choses, et une jolie métaphore. Il y a ces cultures dans lesquelles on a mis tant d’efforts et d’amour, et malgré tout, ces herbes poussent ça et là, certaines avec de grosses racines qui mangent l’énergie de ce qu’on a planté. 

 

Le rapport au corps

Lorsque l’on manie des outils, que ce soit des bêches, des pelles, ou qu’on doit faire des récoltes, il faut être conscient de son corps et des efforts qu’on lui impose. Ainsi, on a tout intérêt à bien observer les gestes des personnes expérimentées si on ne veut pas se retrouver avec des douleurs de dos au bout de deux jours. Il faut arriver à trouver une position confortable pour être efficace sans se faire du mal. Par ailleurs, le fait que certaines personnes à la ferme étaient très à l’aise avec leur corps m’a aussi fait réfléchir au rapport que j’entretiens avec mon propre corps : ce que je lui impose, comment je le juge etc. Alors chacun fait comme il veut, mais ça permet de se décomplexer sur certaines choses. Enfin, j’ai pu participer à 3 séances de yoga menée par le fondateur de la ferme. Je n’avais pas forcément accroché à mes expériences de yoga en studio à Paris, mais ici, j’imagine que cela prenait une autre dimension.

 

Le rapport à la « saleté »

Eh oui, ce n’est pas un scoop, dans une ferme, il y a de la terre, de la boue, de la fiente de canards et de poules… Alors autant dire que les ongles sales, les pieds pleins de terre, les mains éraflées, les vêtements tâchés et abîmés… sont monnaie courante. Si au tout début on est encore un peu précautionneux par habitude, au bout de quelques jours on se rend bien compte que cela fait partie du jeu et que finalement c’est très agréable de travailler la terre sans gant. Et puis que ce n’est pas parce qu’on a encore plein de terre (et d’autres éléments non identifiés) qui refusent de partir sous les ongles qu’on va forcément tomber malade en mangeant avec les mains juste après.

 

Le rapport au confort

Dans la même veine, le rapport au confort est également changé. Parce que des choses « évidentes » dans notre vie quotidienne ne le sont pas à la ferme. Je parle ici des toilettes, de la douche chaude juste en ouvrant le robinet, de pouvoir recharger son téléphone sans se poser de question… Alors oui, on fait pipi dehors les fesses au vent au milieu des herbes hautes, on fait chauffer son eau sur le poêle à bois pour profiter d’une douche chaude, on recharge son téléphone grâce aux panneaux solaires donc les jours un peu nuageux, c’est plus compliqué… Je dormais sous tente pendant 2 semaines, donc … Je me suis surprise à être très heureuse en allant dans la salle de bain de mon auberge de jeunesse à Tofino, comme s’il s’agissait d’un 4 étoiles !

 

Le rapport aux autres

S’il y a bien une chose qui a été challengée durant mon séjour à la ferme, c’est mon rapport aux autres. Et ce pour plusieurs raisons. Il faut dire que j’ai rencontré de sacrés personnages, des personnalités très « puissantes ».

Même si j’essaye, dans mon quotidien, de me défaire de la vilaine habitude de juger les gens sur leur apparence ou sur ce qu’ils peuvent dégager au premier abord, ce n’est pas toujours chose facile. On a tous nos préjugés, nos à priori, dont on a du mal à se défaire. La ferme m’a montré encore une fois l’importance d’aller au-delà de ses premières impressions car elles sont souvent trompeuses. J’ai rencontré ici des gens que je n’aurais jamais rencontré dans ma vie de tous les jours. Des gens avec qui je n’avais à priori pas grand-chose en commun. Certains avaient des backgrounds « difficiles », d’autres venaient simplement de « cercles » qui me sont totalement étrangers dans ma vie habituelle…Et pourtant, j’ai eu le sentiment que j’avais réussi à tisser des liens forts, à m’engager dans des discussions vraiment intimes avec ces personnes.

Au début, j’étais un peu surprise, voir pas forcément à l’aise, avec le fait que chacun se fait un gros câlin le matin pour se dire bonjour ou le soir pour dire bonne nuit. On est tellement habitués à s’en tenir à une poignée de main ou à une bise dans notre cas de français, et un câlin semble quelque chose de tellement intime (et je parle ici d’une embrassade plus franche et personnelle qu’un simple « hug » à l’américaine). Mais à la ferme on croit beaucoup aux énergies que dégagent les personnes, les « vibes positives », l’amour qu’on peut se transmettre à chacun. Eh bien figurez vous qu’au bout de quelques jours, je m’y suis bien faite. Et je trouvais même ça plutôt agréable de commencer la journée avec ce contact franc et humain. Petite anecdote drôle pour illustrer cela : lorsque je suis arrivée à l’auberge de jeunesse de Tofino juste après mon séjour à la ferme, je suis tombée sur un espagnol que j’avais déjà rencontré deux semaines plus tôt à Victoria. Et par réflexe je l’ai pris dans mes bras comme si on se connaissait depuis longtemps. Il était un peu surpris mais quand je lui ai raconté un peu mon expérience à la ferme, les choses sont devenues plus claires pour lui et on en a bien ri.

 

Le rapport aux « croyances » et à la nature

Les personnes présentes s’intéressaient beaucoup aux rêves, à la numérologie, aux « animal spirits »… De nombreux livres sur ces différents sujets, parfois assez anciens, trainaient dans la ferme, et chacun y jetait un œil à sa guise. Même s’il s’agissait de sujets qui ne me parlaient pas forcément à la base, j’ai trouvé beaucoup de matière à réflexion. Se trouvaient également des livres plus connus du grand public, tels que « Les Quatres Accord Toltèques » ou « Le pouvoir de l’instant présent » d’Eckart Tolle.

J’avais rarement été plongée autant « dans la nature » que durant ces deux semaines. Le son des animaux autour de ma tente la nuit, les étoiles brillantes non atténuées par des lumières artificielles, … Je me suis sentie plus proche de la terre que je ne l’ai sans doute jamais été. D’ailleurs j’avais le sentiment que je respirais mieux là-bas, que je respirais vraiment profondément, avec mon ventre. Et ce rapport proche à la nature était bien entendu renforcé par le fait que nous récoltions les légumes et les œufs qui nous nourrissaient. Ou encore par le fait que les remèdes naturels étaient de mise, tels que des feuilles récoltées à deux pas pour soulager les piqûres de moustique. Cela m’a fait prendre conscience de connaissances que nos ancêtres avaient mais que nous avons fini par oublier, à force d’être déconnectés de la nature.

 

Pour conclure

Si je devais conclure en quelques mots, je dirais que je suis vraiment heureuse d’avoir pu vivre une telle expérience. C’était un peu intimidant au début, mais je suis super fière et contente d’être restée. J’ai appris sur les autres, sur moi-même, sur la nature… J’ai été amenée à me poser des questions, à douter de certaines choses, à prendre conscience de mes à priori. Je dois tout de même dire que certains points m’ont moins convaincue, voire dérangée. Au bout de deux semaines, passé le temps de la découverte yeux écarquillés, tu commences à te rendre compte de certains aspects qui ne te conviennent pas trop (que ce soit dans les relations entre les personnes ou dans le mode de fonctionnement). Mais si je revenais en arrière et que c’était à refaire, je signe ! En revanche, je dirais que cette expérience n’est clairement pas pour tout le monde : il faut savoir faire preuve de suffisamment d’ouverture d’esprit, et être prêt à aller au-delà de ses à priori. Sinon, ce ne sera pas une expérience concluante !

 

Si cela vous intéresse, vous pouvez suivre le compte Instagram de la Medicine Farm.

Le site est actuellement en refonte, mais il sera bientôt disponible ici.